Pourquoi les îles
Canaries
refusent les prospections pétrolières
Le 16 mars dernier, le gouvernement espagnol a approuvé en conseil des ministres le Décret Royal 547/2012, concédant aux sociétés Repsol Investigaciones Petroliferas, S.A., Woodside Energy
Iberia, S.A., y RWE Dea AG, l'autorisation de chercher des hydrocarbures dans l'océan atlantique face aux côtes des îles de Fuerteventura et Lanzarote (iles Canaries, Espagne), toutes deux
déclarées Réserve de la Biosphère par l'UNESCO.
Le projet autorise les prospections sur 9 zones d'une superficie totale de 616 000 hectares à une distance entre 10 kms et 60 kms des côtes. Le projet inclus le forage d'au moins deux puits
d'exploration de 3500 mètres de profondeur environ, ce qui convertira cette initiative en l'un des projets d'exploration les plus risqués de l'histoire récente de la planète.
Des événements catastrophiques pour l'environnement et l'économie des lieux sinistrés comme, ceux survenus il y a deux ans à peine dans le Golfe du Mexique, avec le tragique accident de la
plateforme Deepwater Horizon de la compagnie pétrolière British Petroleum, pourraient se reproduire dans l'archipel canarien si le gouvernement espagnol ne reconsidère pas l'autorisation
consentie. Il s'agit de forages risqués et en eaux profondes pouvant entraîner de graves dangers pour l'environnement naturel et l'écosystème marin des Canaries, particulièrement en cas
d'avarie accidentelle ou de fuite.
L'exploration pétrolière génère l'inquiétude, et met en péril le modèle économique de Lanzarote et Fuerteventura ; leurs écosystèmes marins et côtiers, la désalinisation d'eau de mer pour la
consommation humaine, et le secteur de la pêche. Une marée noire signifierait la ruine de ces deux îles. Par précaution, les Canaries se doivent de stopper l'industrie pétrolière, et d'encourager
les projets avançant vers l'autosuffisance énergétique et les énergies renouvelables.
C'est pourquoi, Greenpeace, WWF Espagne ou Ecologistes en Action, centaines de collectifs et d'associations, le Gouvernement des Canaries, les Gouvernements Insulaires (Cabildos) de Lanzarote et
Fuerteventura, les institutions des îles en masse, en plus d'autres corporations locales ; tous les partis politiques à l'exception du Parti Populaire qui gouverne l'Espagne ;
des tours opérateurs, des citoyens, des touristes ; des personnalités célèbres dans le monde de la science et de la recherche des universités, de la musique, du sport et
d'autres secteurs ; tant au niveau national qu'international se prononcèrent contre les autorisations approuvées, et en faveur des énergies renouvelables. Tous manifestèrent énergiquement et
sans appel leur rejet de l'implantation d'une industrie pétrolière aux Canaries. Ce refus fut démontré le 24 mars dernier, avec la plus grande manifestation de l'histoire de Lanzarote et
Fuerteventura, réunissant plus de 45 000 personnes entre les 2 îles. Ils sortirent dans la rue pour dire ensemble "Non aux pétrolières, oui aux renouvelables".
Les conséquences pour l'économie et le tourisme
Le modèle de développement économique sur lequel les Îles Canaries ont misé il y a des décennies, est le tourisme. À Lanzarote et Fuerteventura, le secteur touristique correspond à 51% de son
produit intérieur brut (PIB). Rien qu'à Lanzarote, 36 000 personnes soit 54% vivent du tourisme, et 53% à Fuerteventura. Plus de la moitié des postes de travail des 2 îles dépendent du
tourisme.
Entre d'autres arguments, l'État espagnol justifie l'autorisation donnée à la multinationale Repsol Investigaciones Petroliferas, en avançant la création de richesses et de postes de travail pour
les îles. Bien loin d'être certain, la trajectoire historique et les expériences accumulées, mettent en évidence que le développement d'une industrie d'hydrocarbures dans des zones de
caractéristiques similaires à celles des Canaries et ayant des différences significatives avec les pays arabes ou la Norvège, ont dégénéré en catastrophes économique. Sans aller très loin, à
Tarragone, dans la Méditerranée espagnole, l'industrie pétrolière, n'a pas généré plus de 100 postes de travail en 40 ans d'implantation. En revanche, elle généra un nombre incalculable de
plaintes et de gros titres dans les médias en raison des 14 déversements et fuites dans ses eaux.
Les Canaries ne peuvent pas se permettre de perdre la principale activité économique faisant vivre de manière directe ou indirecte, environ 300 000 personnes. Comme autre exemple, le Club sportif
de La Santa ou l'hôtel Fariones génèrent plus de postes de travail que n'en créerait au niveau local l'installation de cette industrie polluante et épuisable. Les Canaries ont résolument parié
sur un modèle de développement touristique durable, offrant qualité environnementale, paysagère, et des valeurs naturelles comme principal attrait pour les millions de touristes qui
annuellement choisissent l'archipel pour leurs vacances.
Ces dernières années, l'île de Lanzarote, a développé d'autres enjeux touristiques en mettant l'accent sur le tourisme sportif. Il s'y déroule une quarantaine d’événements d'envergure
internationale. L'IRONMAN et d'autres concours internationaux du plus haut niveau pourraient également être menacés, si l'eau propre de l'océan où ils se déroulent devait être
polluée.
Les conséquences environnementales
En plus des conséquences économiques, le risque écologique est très élevé. Le préjudice potentiel pour l'environnement est incalculable en cas de déversement, et constitue également une
menace sérieuse de pollution intrinsèque générée par les travaux d'exploitation.
Les espaces dans lesquelles l'Etat espagnol a donné l'autorisation d'effectuer des prospections se trouvent à quelques 10 kilomètres des côtes de Fuerteventura et à 13 kms des
zones déclarées ZEC (Zones Spéciales de Conservation) et ZEPA (Zones Spéciales de Protection pour les Oiseaux). Ces zones sont comprises dans le réseau NATURE 2000 de l'Union Européenne et
dans la zone d'influence de la plus grande réserve marine d'Europe située au nord de Lanzarote appelée Archipel Chinijo.
Lanzarote et Fuerteventura possèdent de nombreux endroits d'importance biologique et géologique exceptionnels, désignés comme espaces naturels protégés sous diverses figures de protection au
niveau : autonomique, national, européen et international.
Les eaux canariennes ont également été déclarées, par l'Organisation Maritime Internationale (IMO), ZONE MARITIME PARTICULIÈREMENT SENSIBLE (ZMES), afin d'éviter que des événements de pollution
marine n'affectent les côtes insulaires.
Il est indiqué que les impacts négatifs sur la biodiversité marine et les endémismes insulaires seront élevés, tant par l'aspect lié aux activités de prospection, que par un possible écoulement
pouvant affecter les communautés marines présentes sur les côtes et dans les eaux canariennes.
Les tribunaux de justice : antécédents
En janvier 2002, le gouvernement espagnol, déjà dirigé par le Parti Populaire, avait accordé les mêmes permis de prospection par approbation du décret royal 1462/2001. Le tribunal suprême, sur
demande entre autres, du Cabildo de Lanzarote, a paralysé l'autorisation en 2004 pour violation de la loi 34/1998 du secteur des hydrocarbures sur les questions environnementales. Ceci, combiné à
une forte pression sociale, a évité pendant une décennie les prospections d'hydrocarbures aux Canaries. Après le dernier changement de gouvernement en Espagne à la fin de 2011, les prospections
ont de nouveau été autorisées, au mépris de l'opinion des habitants et des institutions des îles qui se sont majoritairement prononcés contre cette approbation. Le gouvernement central, à ce
jour, n'a même pas daigné répondre aux allégations présentées par l'archipel contre le projet Repsol, durant le bref délai laissé aux Cabildos et au Gouvernement des Canaries pour les présenter.
Cependant après l'entrée en vigueur du Décret Royal autorisant les prospections en mars 2012, tant le Gouvernement des Canaries que les Cabildos insulaires et d'autres collectifs de
l'archipel, ont entrepris une bataille juridique sur tous les fronts que leur permet l'état de droit espagnol afin d'éviter l'exécution des autorisations contestées.
Il y a quelques semaines, à Bruxelles, la commission européenne communiquait l'acceptation des formalités d'admission de la plainte déposée conjointement par les Cabildos de Lanzarote et
Fuerteventura contre le Décret Royal 547/2012, permettant aux collectifs et citoyens européens de se joindre à la plainte en présentant des dénonciations devant le parlement et la commission
européenne.
De Même, Greenpeace, WWF and le Cabildo de Lanzarote a sollicité devant le tribunal suprême d'Espagne, l'incidence ou l'exécution de la sentence de 2004 qui en son temps a paralysé les
prospections. Pour sa part, le gouvernement des Canaries a engagé –et a également été autorisé à faire des démarches- un recours contre le Décret Royal, et dans la lignée, les Cabildos de
Lanzarote et de Fuerteventura sont en train de travailler pour finaliser la présentation de deux contentieux distincts devant le Suprême.
Les citoyens et les institutions continueront à lutter sur le plan, juridique, social et sur tous les fronts possibles afin d'éviter que ce projet voit le jour et mette en danger l'économie,
l'environnement et le développement durable des îles Canaries.
Auteur Julie Genicot Source : notre-planete.info,
http://www.notre-planete.info/actualites/actu_3378_Canaries_opposition_petrole.php